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TÉMOIGNAGE D’UN MÉDECIN MÉTROPOLITAIN SUR L’ACCUEIL RÉSERVÉ EN 1962

AUX FRANÇAIS RAPATRIES D’ALGÉRIE DANS LA RÉGION LYONNAISE

 

Au moment de l’indépendance de l’Algérie, je venais, à peine, de m’installer dans une commune de la région lyonnaise lorsque j’ai été contacté pour me joindre à un groupe de bénévoles ; accueillant à l’aéroport de Bron, de nombreux réfugiés français, arrivant, directement d’Oran ou ayant transité par Marseille Marignane.

Certains d’entre eux avaient attendu plusieurs jours et plusieurs nuits sur l’aérodrome de La Senia, dans l’attente d’avions qui se faisaient trop rares, alors que des commandos F.L.N. pillaient leurs modestes bagages, les molestaient et ce qui est pire, arrachaient des femmes à leurs familles, ceci sous l’œil indifférent des forces de l’ordre françaises.

Nous avons accueilli des rapatriés qui n’avaient même plus de valises… Certains portaient des traces de blessures au visage, leurs vêtements étaient déchirés, arrachés, mais ceux qui étaient plongés dans la pire détresse, avaient assisté, impuissants, à l’enlèvement d’un des leurs, un parent, un époux, parfois même un enfant, emmené, de force, au dernier moment, par le F.L.N.

J’ai, moi-même, conduit, dans une maternité, une femme enceinte sur le point d’accoucher. Cette malheureuse, traumatisée à l’extrême, avait assisté à l’irruption de commandos F.L.N. dans une maternité d’Oran : des femmes françaises avaient été violées sur les tables d’accouchement et cela s’était passé sous le regard hilare des gendarmes « rouges » du Général Katz (qui fut décoré de la valeur militaire, le 4 août suivant, par M. Messmer, pour son rôle humanitaire à Oran !)

Il existait un secrétariat aux rapatriés dont la carence fut absolument totale, les premières semaines. Il faut, par contre, souligner le grand dévouement du Maire de Lyon, Louis Pradel et de plusieurs personnalités lyonnaises « non-gaullistes » qui mirent des locaux à notre disposition. Dans l’ensemble, et grâce à des initiatives privées, la ville de Lyon se distingua des autres par la chaleur de son accueil.

Il n’en fut pas de même des villes environnantes, particulièrement lorsque les municipalités étaient gaullistes.

Personnellement, je me vis refuser un grand local disponible pour loger une famille de sept personnes qui campait dans ma salle de séjour. Le maire (UNR) s’opposait à la venue de « ces gens » sous prétexte qu’il était gaulliste !

Un très riche propriétaire d’immeubles refusa de louer des locaux vides en disant : «  Je déteste ces gens-là. J’en ai vu un, hier à Lyon, qui se promenait muni du fouet avec lequel il battait les Arabes » certes, sa bêtise dominait ses sentiments préconçus, mais je certifie l’authenticité de ses propos que j’ai souvent, rapportés.

Un autre propriétaire, d’obédience gaulliste, accepta de louer un local quasi insalubre, mais à prix d’or, en exigeant six mois de loyer d’avance !

J’avais pu trouver un entrepôt avec lucarne pour une femme d’Oran qui était mourante d’un cancer du foie. L’hôpital le plus proche n’avait pas voulu la garder. « Nous n’avons pas de place pour les étrangers» m’avait  répondu un interne au téléphone (authentique !). Le prêtre de la commune où se mourrait cette femme n’a pas voulu aller la voir, malgré mes demandes réitérées, car, disait-il, il était gaulliste de toujours et lecteur de « Témoignage chrétien » double facteur d’ostracisme envers ces Français qu’on a surnommé les Pieds-Noirs. On dût faire appel à un prêtre d’une autre commune (non-gaulliste, sans doute).

J’avais recueilli un garçon de douze ans qui avait, pour tout bagage, une cage à oiseaux. Son père avait été complètement dévalisé sur le quai d’Oran, sa veste arrachée, il était arrivé en bras de chemise. Mon propriétaire, pourtant très brave homme mais, lui aussi, égaré par la propagande gaulliste m’a reproché d’avoir accueilli « ces gens » dans la villa qu’il me louait.

Deux jeunes enfants, orphelins, dont les parents avaient disparu dans la tourmente du 5 juillet à Oran, furent recueillis par une famille d’ouvriers très modestes dont le père, militant communiste, proclamait tous les jours ses sentiments anti-O.A.S. parce qu’anti-fascistes. Mais cette famille fort heureusement, n’était pas gaulliste. Un soir où j’avais été appelé pour soigner un des deux enfants, ce communiste-là m’avoua, en me raccompagnant : «  Docteur, dans cette affaire d’Algérie, les vrais salauds, ce sont, peut-être, nous, les Français de métropole... »

Il y eut bien d’autres cas de dévouement surtout lorsque les préjugés du type «  gros colons qui ont fait suer le burnous » ont commencé à se dissiper devant tant de détresse. Mais ils furent minoritaires et, trop souvent les gestes de compassion le furent de mauvaise grâce, lorsque la foi gaulliste venait bloquer une générosité qui en toute autre circonstance se serait manifestée librement.

« Ces gens-là ont, tout de même, fait tant de mal au Général. » disait-on. Un comble !!! Comment dire à ces métropolitains ignorants que c’était, justement, « ces gens-là » qui avaient porté De Gaulle au pouvoir, car il n’y serait jamais parvenu sans eux. Il y avait, seulement, quatre ans de cela et tous l’avaient, déjà, oublié !

« Qui t’as fait roi ? » N’est-ce pas là une des raisons de cette haine implacable, interminable, parfois franchement délirante que Charles De Gaulle a manifesté jusqu’à sa mort envers cette malheureuse communauté française d’Algérie ?

Cette haine pathologique, raciste et le massacre de dizaine de milliers de Français musulmans, dont il est, directement, responsable, laisseront une tache indélébile sur la mémoire du Général De Gaulle.

                                                                                                                              Docteur Pierre CATTIN