Aimons-nous vivants !
Mon propos, aujourd’hui, n’est pas de vous rebattre les oreilles en reprenant, pour la millième fois, l’histoire lamentable de l’abandon et de l’exode, ni d’évoquer le sort tragique de nos disparus, ni de rappeler la mort, dans d’affreux supplices, de quelques cent cinquante mille de nos frères musulmans, uniquement coupables d’avoir cru à une parole donnée au nom de la France, ni de revenir, encore et toujours, sur les massacres du 26 mars à Alger et du 5 juillet à Oran.
Aujourd’hui, ma préoccupation première est toute autre. Je songe à ces musulmans, à ces amis d’enfance, à ceux qui ont été si proches de nous et dont, depuis des décennies, nous n’avons plus jamais entendu parler. Est-ce le bonheur de vivre dans cette Algérie « décolonisée » qui leur a rendu une vie tellement plus facile qu’ils en ont oublié les amitiés d’antan ? Ont-ils subi cette affreuse influence qui, condamnant le colonialisme, nous a aussi condamnés à leurs yeux en sabordant une fraternité vieille de plus d’un siècle ?
Oui, je souhaiterais ardemment savoir ce qu’ils sont devenus ! Daouïa, Rachid, Aïcha, Sélim, Ali, vous qui, chaque été, partagiez nos jeux, nos goûters, nos rires et notre turbulence, qu’êtes-vous devenus ? Avez-vous gagné en bien-être, en dignité, en liberté, en culture, en sécurité, depuis que le FLN vous a délivrés du “joug colonial”? C’est ce que j’aurais souhaité pour vous, mais je me souviens, qu’au nom de l’anticolonialisme, ce même FLN a tué, mutilé, terrorisé, le peuple d’Algérie, quelles que soient les ethnies qui composaient le pays, les frappant toutes, aussi sauvagement et aussi aveuglément les unes que les autres, afin de les soumettre toutes par… la terreur !
Où en êtes-vous, à l’automne de votre vie ? Comprenez que j’ai des raisons d’être inquiète à votre sujet… On prétend que l’Algérie se tourne résolument vers l’Occident, et, en même temps, quelques historiens intègres, quelques journalistes incorruptibles, quelques amis qui nous donnent encore de leurs nouvelles, nous apprennent qu’on a, au contraire, refondu vos mentalités sur la base des principes arabo-islamiques et sur la haine de la France et des Français, et que l’Algérie, ce cher pays où nous sommes tous nés, ne serait plus qu’une gigantesque entreprise d’espionnage et de délation, un filet d’acier abattu sur le peuple qui souffre mille misères…
Aujourd’hui, selon leurs dires, les hommes et les femmes auxquels j’étais attachée ne sont plus qu’une foule, désordonnée et impuissante, plongée dans un vertige virant à la démence où ne subsistent que la nuit noire, le rugissement des bêtes féroces, le fracas des portes qui se brisent, le cliquetis des armes et des couteaux qui s’entrechoquent…
Si votre âme est vraiment captive, comme ils le disent, du fond de ces limbes ténébreux et abjects, peut-elle encore saisir le message de la mienne ? Je l’espère car je vous aimais, et je vous aime toujours. Mais l’absence n’est-elle pas, pour celui qui s’en va comme pour celui qui reste, une sorte de mort de l’autre ?…
Que nous reste-t-il de ce passé qui nous colle encore à la peau? Les vivants!
Ceux qui sont encore proches de nous, que l’on peut joindre au téléphone en sachant qu’ils répondront, ceux à qui l’on peut écrire une lettre en étant sûre qu’ils la liront, et j’écris, aujourd’hui, à tous ceux de ma terre natale qui, sur cette terre d’exil, sont encore des vivants et peuvent encore réagir, pour leur dire, une fois de plus, la dernière peut-être, qu’il nous reste une nouvelle occasion de nous rencontrer, de partager ce que nous avons pu conserver de chaleur humaine et de détermination, avant que cette frêle silhouette noire, tapie dans l’ombre, immobile et attendant son heure, ne nous emporte de l’autre côté du miroir, étouffant à jamais les témoignages que nous avons encore à faire, garrottant à jamais l’action que nous sommes en train de mener…. AIMONS NOUS VIVANTS !
Lorsque, mus par la certitude de pouvoir faire encore quelque chose, de pouvoir encore agir, laisser une trace, nous avons, Claude ROUVIERE et moi-même, décidé de créer VERITAS, nous avons fait le vœu de poursuivre, dans une totale abnégation, ce difficile combat pour la vérité. Nous avons choisi, comme chef de file, en la personne de Joseph Hattab Pacha, un apyre de l’espèce la plus solide et, quelques années après, je devais rester seule à me féliciter encore de ce choix…
Non pas que Claude ait jamais désapprouvé Joseph, mais Claude n’était plus là, il nous avait quittés… La dame à la faux l’avait emporté brusquement, comme tant d’autres qui ont entouré VERITAS, qui ont gravité autour de notre mouvement, comme pour insuffler à cette planète naissante leur force, leur courage, leur dignité, leur honneur…
Où sont-ils, aujourd’hui, ceux qui nous ont parrainés, encouragés, réconfortés ?… Ils faisaient partie d’une élite, d’une constellation d’étoiles brillantes… Tous, les uns après les autres, ils ont quitté ce monde de misère pour aller vers la lumière. Cependant, en nous, ils ont laissé une trace assez tangible pour nous permettre de poursuivre la voie qu’ils avaient choisie, avec nous et comme nous, cette grande et large route qui va de l’ego étriqué au temps de la victoire que nous sommes loin d’avoir encore atteint ! Nous ont-elles vraiment quittés, ces étoiles étincelantes, ou ont-elles seulement obéi à une loi suprême, aussi irrésistible que le flux et le reflux des vagues, tout en nous restant indissolublement associées ?
Qu’il me soit permis de saluer, encore, les hommes de cette constellation entourant VERITAS et son équipe : Antoine ARGOUD, Michel SAPIN-LIGNIERES, Yves GIGNAC, Béatrice VANDERPOOL, Jean-Pierre BURGAT, Robert CAZETTES, Georges ROBIN, Yvan SANTINI, René ESCLAPEZ, Pierre GUILLAUME, Charles LACHEROY, Jean-René SOUETRES, Charles MET, Robert BOINEAU, Jacques AUGARDE, et tant et tant d’autres vaillants combattants de la mémoire et de la vérité…
Quant à notre courageuse équipe, je ne peux croire que ceux d’entre nous, qui sont partis vers un monde meilleur, nous aient réellement quittés ! Lorsque j’élabore la maquette de notre revue, j’entends encore les explosions de colère de mon cher frère de cœur, Joseph HATTAB-PACHA, les boutades ironiques de notre pince-sans-rire coutumier René BLANCHOT, les exclamations indignées de notre journaliste attitré Georges-Emile PAUL, ou encore, les malicieuses facéties de notre boute-en-train, celui qui, dans notre équipe, arrivait à nous faire rire alors les larmes du désespoir envahissaient nos yeux, mon ami d’enfance, André BORREL…
Il m’est difficile d’évoquer aussi la perte de mon cher époux, Henri AVELIN, premier secrétaire de VERITAS non remplacé, qui, jusqu’en juin dernier accomplissait sa part de la tâche commune avec foi et amour, car nous entrons là dans une situation spécifique… En 59 ans de mariage, un couple ne forme plus qu’une seule chair, et la séparation devient un arrachement charnel, c’est pourquoi je partage intensément la détresse de notre Vice-président, Alain ALGUDO, et de notre éminent rédacteur Georges DILLINGER, frappés dernièrement, tous deux, par la même épreuve, la perte de Monique et Andrée, leurs épouses que nous pleurons avec eux.
Je ne peux m’empêcher de déplorer aussi la disparition de tous ceux qui, simples adhérents à notre mouvement, ont aussi quitté ce monde, et chaque fois que je vois revenir l’une ou l’autre de nos « Lettres » mensuelles avec la mention « décédé », j’ai l’impression de sentir ce froid progressif apporté par un vent horizontal qui glace la terre pour l’éternité et cristallise la vie !
Que faire alors ? Notre digue tremblerait-elle ? Notre forge serait-elle menacée comme nos pauvres vies auxquelles nous tenons malgré la misère ? Non, les pierres que nous avons apportées à la Maison-Histoire sont solides parce qu’authentiques. Notre digue résistera parce que les volontés robustes et les fortes vertus qui l’ont construite se frayeront toujours un chemin malgré tous les obstacles et toutes les embûches.
Bâillonne-t-on aussi facilement le Comité VERITAS ? N’ai-je pas le bonheur de voir mes fils reprendre le flambeau en mémoire de leur père et de celui qu’ils considèrent, tous, comme leur oncle de coeur ? Les fils et les filles des étoiles nommées plus haut n’ont-ils pas remplacé leurs pères, en intégrant fidèlement VERITAS ? J’en témoigne ! Soyons rassurés car eux non plus ne se tairont pas devant le gâchis effrayant qui s’est installé sur notre pays, à l’abri d’un rideau de mots sonores et de beaux principes immédiatement bafoués .Quand nous n’aurons plus de voix, c’est de leurs gosiers que sortira notre clameur !
Mais, en attendant, tant que le sang coule dans nos veines et que la ferveur anime nos cœurs, ne manquons aucune des occasions de nous retrouver, à nouveau, d’assurer un peu plus et un peu mieux la lente maturation du message de vérité, de lutter ensemble contre cette perversion de la pensée qui voudrait réécrire « dans le vent », cette Histoire que nous, témoins, nous avons vécue !
Aimons-nous vivants ! Retrouvons-nous à Valras, le 22 juin prochain, avec des historiens et des journaliste honnêtes, avec les rares politiciens qui ont gardé un idéal intact, et avec ceux des nôtres qui n’ont jamais désarmé, jamais cessé le combat
Et ce jour-là, ensemble, nous pourrons confirmer ces vertus qui ont nom solidarité et fraternité, ces vertus qui ont déserté la France alors qu’elles devraient hanter tous les hommes dignes de ce nom magnifique !
Il a fallu à notre communauté de bien grandes épreuves pour en revenir aux vertus désapprises. A l’heure des conséquences, du plus profond de notre détresse, nous ne pouvons aspirer qu’à l’union ! L’union, dans notre nuit hexagonale, c’est un rayon qui doit jaillir du plus profond de nos âmes et c’est, aussi, pour le combat, le premier bouclier à reforger, la plus belle force à préparer… Aimons-nous, oui, aimons nous enfin, mais AIMONS-NOUS VIVANTS !
Et, unissons-nous ! J’ai besoin de serrer vos mains, de vous donner l’accolade, de vous transmettre encore ce seul et unique message véridique, celui qui réside dans une union franche et loyale que, jusqu’à présent, nous n’avons jamais été capables de réaliser… Je ne sais si cette rencontre sera la dernière pour moi, mais j’y suis poussée par une force irrésistible et inexpliquée, peut-être parce qu’une mystérieuse harmonie semble enfin régner parmi nous, parce qu’au fond, nous plaidons tous la même cause !…
Laissez-moi rêver, pour conclure… Imaginons que tous les Présidents d’associations réalisent qu’aucun d’entre eux n’est capable de rassembler tous les autres, mais aussi qu’aucune de leurs voix ne peut être entendue dans la cacophonie… Malgré nos différences de vue, de moyens et d’interprétation, il existe un lien et des points communs entre nous. N’est-ce pas là une occasion exceptionnelle de montrer à la France que nous relevons la tête, que nous nous restructurons et qu’enfin, nous nous aimons… vivants ?
OUI ! Aimons-nous vivants !
Légitimement, parce qu’on a voulu étouffer notre juste cri et notre ultime combat, nous devons, tous, à la vérité historique d’y répondre en masse !!!
Anne CAZAL