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À TOUS CEUX QUI VEULENT
« TOURNER LA PAGE » 

Il est un livre que je lis et relis depuis l’enfance.

Les premiers chapitres se sont révélés à moi comme un ravissement, pénétrant mes yeux d’un tel éblouissement qu’il laisse, encore, un demi-siècle après, des taches claires sous mes paupières closes.

Dans ce livre est écrit la quête d’un enfant à la recherche de la pérennité.

L’enfant, une timide fillette, devrait avoir quatre ans. Elle découvrait, à travers le décès, en plein été, d’un grand-père, trop brièvement connu pour pouvoir s’y attacher, notre condition éphémère de mortels.

Prise d’une panique intérieure, elle cherchait désespérément à se raccrocher à l’immuable. Où le trouver ?

Même la villa que son père avait construite sur le roc pouvait s’écrouler…

Alors, la gamine est descendue jusqu'à la mer. Jusqu'à la pointe du rocher qui plongeait dans l’eau. Elle s'est allongée à plat ventre sur la pierre surchauffée par le soleil de plomb jusqu’à ressentir une intense brûlure.

« Toi » disait la petite fille à l’inaltérable écueil « toi, tu seras toujours là, tu m’appartiendras toujours. »

Aujourd’hui, l’enfant n’existe plus et celle qui lui a succédé ne reverra jamais le rocher de la fausse pérennité.
C’est pourquoi ma conscience ne me reproche pas d’avoir tourné cette page.

Mais dans ce livre de la mémoire, il y a d’autres pages qui refusent de se fermer et qui, chaque fois que je m’approche du factum de ma vie, s’ouvrent toutes seules.

« Un livre s’ouvre seul aux feuillets souvent lus » affirmait déjà Edmond Rostand.

Oui, ces pages, je les relis chaque soir, elles me hantent chaque nuit, elles sont remplies de sang, de cris de souffrance, une souffrance à laquelle la mienne demeure liée à jamais et aucun d’entre nous n’a le droit de les tourner tant que justice ne nous sera pas rendue.

Car ces feuilles-là déverrouillent, à chaque mot, l’enfer que nous portons tous en nous. Elles sont écrites au couteau, elles nous laminent jusqu’aux os, elles suivent les lézardes qui s’inscrivent au plus profond de nous-mêmes, elles sont déflagrantes, elles sont abrasives, il serait fou de nier et démentiel de vouloir l’oublier.

Et voilà que certains d’entre nous se détournent, au risque de s’ensevelir volontairement avant même d’être morts, de ce devoir de mémoire qui nous incombe à tous et maintenant.

Comprenons-nous bien : Des enfants violés, éventés, égorgés, empalés et brûlés souvent sous les yeux de leurs parents avant que les barbares agissant au nom du F.L.N. leur fassent subir le même sort, aux milliers de suppliciés d’Oran, le 5 juillet 1962, en leur passant par les soldats français tombés en embuscade, systématiquement émasculés avant d’être égorgés, sans oublier les Harkis et leurs familles victimes de la férocité inhumaine des terroristes auxquels furent livrés, sans défense aucune, nos départements français d’Algérie, monte un cri incommensurable que VOUS NE POUVEZ PAS NE PAS ENTENDRE !

Ce cri pulvérise l’assourdissant silence imposé en France par les pouvoirs politiques corrompus, toutes tendances confondues, afin d’échapper à leurs responsabilités et d’ensevelir, dans l’oubli et à jamais, les corps martyrisés sur la terre d’Algérie.

Pieds Noirs, reprenez-vous ! Réagissez ! En métropole, on a fait de vous des bouffons irresponsables, préoccupés seulement par l’organisation de « couscous-merguez » suivis d’une petite polka qui n’a rien à voir avec le message des « casseroles ».

Et si quelques uns, sortant du rang, combattent, en hommes libres et dans le plus complet bénévolat, pour la seule chose qui peut redonner un peu de dignité à notre communauté : LE RÉTABLISSEMENT DE LA VÉRITÉ HISTORIQUE, comme il est facile, dans ce beau pays de France, de placer sur leur route, quelques « m’as-tu vu », issus des leurs, et d’enivrer ces derniers d’honneurs et de subventions afin qu’ils en oublient qu’ils sont en train de trahir la renommée de leurs frères !

Aujourd'hui, affirment certains intellectuels algériens encensés par l’information, l’Algérie se confond avec l’horreur. Mais quelle est la différence avec hier ? L’horreur actuelle, d’où qu’elle vienne, est la même que celle pratiquée hier par le F.L.N… S’il y a une différence (et de taille !) c’est qu’hier, on l’ignorait, volontairement, en noyant nos suppliciés dans le plus silence, tandis qu’aujourd’hui, on la médiatise. Nos martyrs, nos héros ont été réduits en poussière, soit. Mais ils ne sont pas, ils ne seront jamais, de la boue !

C’est pourquoi je souhaite que mes mots traversent la carapace d’indifférence de ceux qui veulent « tourner la page ».

Quant à moi, jusqu’à mon dernier souffle, jusqu'à ma dernière goutte de sang, je resterai ce démiurge écorché vif, égorgé, ébouillanté, portant en mon âme les souffrances de tous mes frères européens et musulmans, et, à ma dernière heure, sachant que je ne les ai jamais abandonnés, jamais trahis, je pourrai mourir DEBOUT !

 

                                                                                                                                                        Anne CAZAL